Le Congrès américain a débloqué jeudi une gigantesque enveloppe de 40 milliards de dollars pour armer et soutenir l'Ukraine, au moment où Moscou obtenait une victoire symbolique avec les images de centaines de combattants ukrainiens émergeant, hagards, de l'usine Azovstal de Marioupol où ils étaient retranchés sous les bombes depuis des semaines.

Au sein de ce grand paquet d'aide, 6 milliards de dollars doivent notamment permettre à l'Ukraine de s'équiper en véhicules blindés et de renforcer sa défense anti-aérienne à l'heure où les combats font rage dans l'est et le sud du pays. Moscou s'est résolu à y concentrer ses efforts ces dernières semaines après avoir échoué à prendre Kiev et Kharkiv au nord.

Les ministres des Finances du G7, réunis en Allemagne, ont justement commencé jeudi à faire le compte des milliards d'euros, de livres et de dollars que chaque pays pouvait débourser rapidement pour soutenir l'économie de l'Ukraine et son effort militaire.

Le projet de loi n'a plus qu'à être ratifié par le président Joe Biden.

Mi-mars, le Congrès avait déjà débloqué près de 14 milliards de dollars pour la crise ukrainienne, mais Joe Biden réclamait depuis plusieurs semaines une importante rallonge budgétaire afin de soutenir l'Ukraine dans la nouvelle phase du conflit.

Russian Defence Ministry/AFP

Image publiée par le ministère russe de la Défense le 18 mai 2022, montrant des militaires ukrainiens alors qu'ils sont fouillés par des militaires pro-russes après avoir quitté l'aciérie d'Azovstal à Marioupol

Cette annonce majeure, très attendue à Kiev, intervient au moment ou la Russie a annoncé jeudi que près de 800 militaires ukrainiens retranchés dans les entrailles du gigantesque complexe sidérurgique Azovstal de Marioupol s'étaient rendus au cours des dernières 24 heures, ce qui porte le total à 1.730 depuis lundi.

Moscou a rendu publiques des images montrant des cohortes d'hommes en tenue de combat émergeant, certains avec des béquilles ou des bandage, après une longue bataille qui était devenue un symbole de la résistance ukrainienne à l'invasion russe à Marioupol, ville martyre à 90% détruite dans le sud-est du pays et où au moins 20.000 personnes ont péri, selon Kiev.

Ces soldats, parmi lesquels 80 blessés, "se sont constitués prisonniers", a souligné le ministère russe de la Défense dans un communiqué.

Kiev n'a pas parlé de reddition et les responsables ukrainiens refusent de commenter à ce stade. Mais le président Volodymyr Zelensky a parlé lundi d'une "évacuation" visant à sauvegarder la vie de ces "héros" ukrainiens grâce à une médiation internationale.

Confirmant implicitement la version d'une solution négociée, comme cela avait été le cas sous l'égide du CICR pour évacuer auparavant des civils de Marioupol, l'ONU a appelé jeudi la Russie et l'Ukraine à reprendre les pourparlers pour "mettre fin à cette guerre".

"J'aime à croire que le fait que cette coopération a fonctionné relativement bien, en tout cas beaucoup mieux que les semaines précédentes, est quelque chose sur quoi on peut bâtir", a déclaré le responsable de l'ONU pour les situations d'urgence, Martin Griffiths lors d'un point de presse à Genève.

Membres pour l'essentiel d'une unité de fusiliers marins de l'armée ukrainienne et du régiment Azov fondé par des nationalistes ukrainiens, les combattants évacués étaient retranchés depuis plusieurs semaines dans le dédale de galeries souterraines creusées à l'époque soviétique sous la gigantesque aciérie, massivement bombardée par les Russes.

Le dirigeant séparatiste prorusse Denis Pouchiline avait précisé mercredi que les commandants ne s'étaient pas encore rendus et affirmé qu'il y avait initialement "plus de 2.000 personnes" sur le site.

"Guerre d'indépendance"

AFP

Invasion russe en Ukraine

Dans une vidéo publiée jeudi soir, Sviatoslav Palamar, commandant adjoint du régiment Azov, a confirmé être toujours dans l'usine avec le reste du commandement, refusant de dévoiler les détails de l'"opération" en cours.

Leur sort reste néanmoins en suspens : l'Ukraine veut organiser un échange de prisonniers de guerre mais la Russie a fait savoir à maintes reprises qu'elle considérait au moins une partie d'entre eux non pas comme des soldats, mais comme des combattants "néonazis".

Malgré cette séquence à valeur essentiellement symbolique pour la Russie, qui avait le contrôle quasi-total de la ville depuis plusieurs semaines, le président Zelensky a déclaré jeudi que son peuple demeurait "fort, indestructible, courageux et libre", dans une vidéo marquant le jour de la Vychyvanka, la fameuse chemise brodée traditionnelle ukrainienne, qu'il portait pour l'occasion.

"Cette guerre pour nous est sans aucun doute une guerre d?indépendance", a-t-il encore déclaré dans un discours devant des étudiants, soulignant que la Russie resterait "probablement toujours une menace".

"Je vous demande pardon"

Séquence cette fois à haute valeur symbolique pour l'Ukraine, le premier procès d'un militaire russe pour crime de guerre a repris jeudi à Kiev.

"Je sais que vous ne pourrez pas me pardonner, mais je vous demande pardon", a dit le sergent Vadim Chichimarine, 21 ans et un visage juvénile, à la veuve de l'homme de 62 ans qu'il est accusé d'avoir abattu le 28 février dans le nord-est de l'Ukraine, alors que, sa colonne de blindés ayant été attaquée, il tentait de rejoindre les siens.

La prison à vie a été requise contre le jeune soldat, qui a plaidé coupable.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a encore qualifié mercredi "de fakes ou de mises en scène" les accusations pesant sur les troupes russes.

Un autre procès pour crimes de guerre s'est cependant ouvert jeudi dans le nord-est de l'Ukraine : celui de deux militaires russes accusés d'avoir tiré des roquettes sur des infrastructures civiles dans la région de Kharkiv.

Les bombardements russes continuent de faire des victimes. Ils ont fait 12 morts et 40 blessés jeudi à Severodonetsk, dans la région de Lougansk (est), selon le gouverneur local Serguiï Gaïdaï. Il a affirmé que la plupart des tirs avaient touché des immeubles d'habitation, et que le bilan pourrait s'alourdir.

Une équipe de l'AFP sur place a constaté que cette cité industrielle était transformée depuis plusieurs jours en champ de bataille et écrasée sous les tirs d'artillerie.

"Je ne sais pas combien de temps nous pouvons tenir", s'est interrogée Nella Kachkina, 65 ans, une ancienne employée de la municipalité, aujourd'hui à la retraite.

"absolument déterminés"

Severodonetsk et Lyssytchansk constituent la dernière poche de résistance ukrainienne dans la région de Lougansk. Les Russes encerclent désormais ces deux localités, seulement séparées par une rivière, et les bombardent sans relâche pour épuiser la résistance et empêcher l'arrivée de renforts.

Selon un compte-rendu quotidien des militaires ukrainiens, "l?ennemi a intensifié ses attaques et tentatives d?assaut pour améliorer ses positions tactiques" dans le Donbass, la région de l'est russophone partiellement contrôlée depuis 2014 par des séparatistes prorusses et dont Moscou, faute d'avoir pu prendre Kiev et le reste du pays, veut prendre le contrôle total.

Le Pentagone a averti jeudi que malgré les succès des forces ukrainiennes dans le nord, l'armée russe parvenait à renforcer son emprise sur le Donbass et le sud du pays, ce qui signifie que le conflit pourrait durer.

"Nous sommes absolument déterminés à faire tout pour aider les Ukrainiens à se défendre", a indiqué à la presse un haut responsable du ministère américain de la Défense.

AFP

Photo des grands argentiers du G7, le 19 mai 2022 près de Bonn, en Allemagne

Pour la première fois depuis le début de la guerre, les chefs d'état-major américain et russe, les généraux Mark Milley et Valéri Guerassimov, se sont parlé jeudi au téléphone, a par ailleurs indiqué le Pentagone.

Sur le front économique, les grands argentiers du G7 se réunissaient en Allemagne jeudi et vendredi, en soutien à l'Ukraine et pour examiner les conséquences à travers le monde de la guerre déclenchée par Moscou il y a presque trois mois.

Mercredi, la Commission européenne avait proposé une "nouvelle assistance macrofinancière" à l'Ukraine pour cette année d'un montant "allant jusqu'à 9 milliards d'euros".

A des degrés divers, c'est toute l'économie mondiale qui est affectée par cette offensive et les sanctions contre Moscou qui en ont découlé.

Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres a mis en garde mercredi contre le "spectre de pénuries alimentaires mondiales dans les mois à venir", implorant la Russie de libérer les exportations de céréales ukrainiennes et l'Occident d'ouvrir l'accès des engrais russes aux marchés mondiaux.